QUE PEUT LA SCIENCE ÉCONOMIQUE
POUR L'APPLICATION DU CRÉDIT SOCIAL?
Mémoire présenté à la conférence
UN SYSTÈME FINANCIER AU SERVICE DE L'HOMME
à Zakopane
POLOGNE
en DÉCEMBRE 2003
© Diane Boucher, 2003
RÉSUMÉ
C.H. Douglas affirme qu'un défaut dans le système des prix cause un rétrécissement accéléré du pouvoir d'achat et qu'il est impossible de corriger ce défaut dans un système financier où la monnaie est un bien fabriqué et commercé en vue du profit. Selon lui, la correction exige un système financier où le pouvoir d'achat de la monnaie est ajustable par la manipulation directe du niveau des prix et la distribution générale d'un dividende sur la capacité de production nationale. Or, ce diagnostic et cette solution ont été ignorés ou rejetés par les économistes de toutes tendances. Par l'apport de méthodes de modélisation et de simulation appropriées, la science économique peut contribuer à mettre en lumière les particularités de la théorie du crédit social en vue de faciliter sa compréhension et son acceptation et ainsi rendre possible son application.
Table des matières
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Résumé 2
Table des matières 3
Introduction 4
1. Le paradigme 5
1.1 Le crédit réel est l'estimé exact de la capacité de livrer des biens et services aux
consommateurs 5
1.2 Le crédit financier doit être le reflet du crédit réel 7
1.3 Le vrai coût de la production est la consommation 8
2. Le diagnostic 10
2.1 La déficience du pouvoir d'achat en face des prix 10
2.2 La cause réelle de la déficience du pouvoir d'achat 11
2.3 Les causes financières de la déficience du pouvoir d'achat 13
2.4 Les objections au théorème A+B 17
2.5 L'échec du paradigme bancaire 18
3. La solution 20
3.1 Les politiques essentielles 20
3.2 Les politiques subsidiaires 24
Conclusion 26
Bibliographie 28
Annexe A Modèle 1: Une économie de cueilleurs de fruits et de céréales 30
Modèle 2: Une économie agricole avec augmentation de la production 32
Modèle 3: Une économie agricole avec diminution de la main-d'oeuvre 34
Annexe B Les variables des modèles 36
Annexe C Les trois propositions du crédit social 38
INTRODUCTION
Les économistes ont longtemps regardé la théorie de la valeur comme la question centrale de leur discipline. Qu'est-ce qui détermine les prix auxquels les biens et services sont échangés les uns pour les autres? Et la monnaie est un embarras pour la théorie de la valeur, un embarras d'autant plus sérieux que c'est la monnaie fiduciaire qui est considérée, cette monnaie qui n'a aucun actif en contrepartie et dont toute la valeur vient du "fiat" qui en fait de la monnaie.
Alors, qu'est-ce qui explique ce paradoxe de la consommation et de la production qui fait qu'au plan physique la consommation est inférieure à la production, sinon aucune croissance ne serait observée, alors qu'au plan monétaire la consommation est supérieure à la production, puisqu'on observe l'inflation des prix (Douglas 1931)? Et comment échapper à ce paradoxe?
Comme beaucoup d'autres systèmes de la nature, l'économie est un système ouvert où coule un flux d'énergie constitué par les biens et les services, auquel est couplé un flux monétaire qui coule en sens inverse (De Rosnay 1975). Le flux d'énergie et le flux de monnaie s'équilibrent et se régulent par l'intermédiaire d'un système de prix et de valeurs. Ou du moins ils sont supposés le faire. Et il est difficile d'expliquer pourquoi ils n'y réussissent qu'imparfaitement. Car les systèmes sociaux, et notamment le système économique, sont très complexes, beaucoup plus complexes que les systèmes physiques, parce qu'ils sont dynamiques et non linéaires et que ce sont des systèmes à rétroaction (Forrester 1985 et 1987).
Pour mieux représenter et comprendre ces systèmes, une méthode de modélisation et de simulation des systèmes a été mise au point à la Sloan School of Management du Massachusetts Institute of Technology à la fin des années 50 par Jay Wright Forrester, un ingénieur américain dont la contribution à la recherche sur les servomécanismes et à la conception des ordinateurs digitaux a été considérable (Forrester 1961). Cette méthode permet la représentation adéquate du modèle mental de tout phénomène dynamique (Forrester 1985 et 1987). Je fonde sur elle beaucoup d'espoir pour parvenir à représenter précisément et correctement le modèle mental de cette théorie économique connue sous le nom de"crédit social", qui a été élaborée en 1917 par Clifford Hugh Douglas, un ingénieur écossais. Une théorie qui a fait couler beaucoup d'encre et a suscité bien des discussions dans les hauts-lieux de l'enseignement de l'économique en Grande-Bretagne et dans les pays du Commonwealth, mais qui pourtant demeure ignorée par les historiens de l'économique (Dehem 1984).
CHAPITRE 1
Le paradigme
"Le destin de toute vérité est d'être ridiculisée
avant d'être reconnue."
Albert Schweitzer
Il importe, au premier chef, de présenter les nombreux éléments qui sont autant de prémisses dans les raisonnements qui sous-tendent le diagnostic et la solution de la théorie économique du crédit social.
Selon C.H. Douglas lui-même, l'ensemble de ses vues économiques repose sur certaines propositions fondamentales dont les trois plus importantes sont les suivantes (Douglas 1931b):
- le crédit financier prétend être, mais n'est pas, le reflet du crédit réel;
- le crédit réel est un estimé exact de la capacité d'une communauté de livrer les biens et services en quantité, au moment et à l'endroit voulus;
- le coût de la production est la consommation.
1.1 Le crédit réel est l'estimé exact de la capacité de livrer des biens et services aux consommateurs
Le concept de crédit réel, chez Douglas, est un estimé de la capacité des structures productives d'une communauté de répondre à la demande des consommateurs —ce que Douglas appelle la capacité de livrer les biens et services aux consommateurs— où la justesse de l'estimé relève d'une croyance appuyée sur la connaissance, d'où l'emploi du terme crédit (Douglas 1920b et 1931b).
Le crédit réel comporte deux aspects. Le premier aspect est la capacité de produire des biens et services de consommation et le second aspect est la demande effective pour des biens et services de consommation.
a) La capacité de produire
La capacité de produire des biens et services de consommation dépend de ce que Douglas appelle le capital réel, c'est-à-dire non seulement les moyens physiques que sont les équipements industriels, commerciaux et administratifs, les équipements de transport, les sources d'énergie et les outils au sens large, mais aussi les moyens cognitifs tels les technologies, les procédés et le savoir en général, de même que l'organisation au sens d'organisation industrielle et d'organisation sociale (Douglas 1922a et 1924a).
À cette définition du capital réel, Douglas ajoute —et c'est là un élément fondamental de sa vision économique— que la capacité de produire des biens et services de consommation comprend aussi les biens intermédiaires, qu'il appelle aussi les semi-manufacturés, qui sont consommés dans le processus de production, mais qui ne se retrouvent pas nécessairement dans le produit final présenté au consommateur: énergie appliquée, matériaux incluant les chutes et rejets, biens semi-finis incluant les rejets, biens finis rejetés ou détruits, etc. (Douglas 1920a).
Cette définition élargie de la capacité de produire comprend donc les stocks de couverture aux diverses étapes de production et distribution et les biens finis en transit dans le système de distribution, les uns et les autres étant nécessaires pour répondre au délai de production et distribution. Au niveau de la production, ce sont particulièrement les biens intermédiaires en stock, qui doivent avoir été produits en avance, étant donné que le pain qu'on est en train de cuire ne peut être fait de la farine du grain qu'on est en train de moudre (Douglas 1931a).
b) La demande effective
La demande effective des consommateurs est une production désirée par les consommateurs, c'est-à-dire une production composée de biens et services de consommation répondant en quantité et en qualité à leurs besoins: nourriture, vêtement, logement et autres besoins moins élémentaires. Pour être une demande effective, la demande pour des biens et services de consommation doit être soutenue par une monnaie suffisante (Douglas 1920b).
Selon cette définition, il faut comprendre que la production par une population d'une quantité de biens d'équipement et de biens intermédiaires en excédent de ce qui est nécessaire à la production des biens et services de consommation requis pour cette population n'est pas une production désirée par les consommateurs et donc n'est pas une demande effective des consommateurs, mais est une demande effective des producteurs (Douglas 1922a). De même, la production d'une quantité de biens pour exportation en excédent de la quantité de biens importés n'est pas non plus une production désirée par les consommateurs et donc n'est pas une demande effective des consommateurs, mais est une demande effective des producteurs.
La demande effective est le plus essentiel des deux aspects du crédit réel. La présence d'une demande effective est pré-existante à toute capacité de produire alors que, même en présence d'une capacité de produire, l'absence de demande effective entraîne la non-utilisation de cette capacité de produire et donc la négation de son existence (Douglas 1924a).
c) Le crédit réel est un crédit social
Le crédit réel est de propriété commune (Douglas 1920a), mais d'administration privée (Douglas 1930a).
Le crédit réel d'une communauté productive moderne, sa capacité de produire de la richesse au sens réel du terme, repose non seulement sur des facteurs matériels, mais aussi sur des facteurs intangibles, maintenant prépondérants, qui sont l'héritage culturel et l'incrément d'association (Douglas 1924a). Les procédés et les outils, de même que l'organisation et le savoir qui les ont rendus possibles, forment un héritage culturel qui appartient à la communauté en son entier et non pas seulement aux travailleurs (Douglas 1920a). L'association de personnes dans la production donne lieu à un incrément qui n'est pas gagné, lequel incrément non gagné est énormément plus important que l'incrément gagné par le travail individuel (Douglas 1922b).
La propriété du crédit réel est commune ou sociale, parce que l'héritage culturel et l'incrément d'association sont de propriété commune ou sociale (Douglas 1924a).
1.2 Le crédit financier doit être le reflet du crédit réel
Pour C.H. Douglas, le crédit financier est le moyen de mettre en oeuvre le crédit réel (Douglas 1922a). Le crédit financier est donc purement un correspondant chiffré ou monétisé du crédit réel et, par similitude avec le crédit réel, il est défini comme un estimé exact de la capacité de livrer la monnaie (Douglas 1930b). Le véritable rôle du système financier est alors d'émettre du crédit financier jusqu'à représenter fidèlement le crédit réel (Douglas 1920a). La limite d'émission du crédit financier est donc dépendante de l'un ou l'autre des deux aspects du crédit réel. Cette limite du crédit financier est atteinte lorsque la demande effective est comblée ou que la capacité de produire est épuisée selon la première occurrence (Douglas 1920b). Cette conception du crédit financier comme reflet du crédit réel s'appuie sur une définition de la monnaie tout à fait moderne et systémique.
a) La monnaie est une information
L'orthodoxie économique définit la monnaie comme un moyen d'échange, comme une unité de compte et comme une réserve de valeur, mais Douglas s'éloigne résolument de ces définitions. À son avis, la monnaie a cessé depuis plus de 200 ans d'être un moyen d'échange, car la contribution individuelle à la production est de plus en plus faible, étant donnés la mécanisation, l'automation et autres facteurs de productivité caractéristiques de la production moderne. Sous son oeil d'ingénieur, la monnaie est simplement un billet qui permet à son détenteur d'obtenir des biens et services sur demande (Douglas 1924a, 1927, 1929b et 1935). La monnaie n'est pas non plus pour lui une unité de compte ni une réserve de valeur (Douglas 1924a). Le besoin n'est aucunement d'avoir une unité absolue de mesure, mais plutôt d'avoir une mesure relative telle le ratio, c'est-à-dire le rapport de deux quantités exprimées dans la même unité (Douglas 1920b).
Fondamentalement, la monnaie est pour Douglas une information et cette information permet de diriger la production et la distribution des biens et services (Douglas 1924a).
b) La polarité des flux monétaires
Suivant sa conception particulière de la monnaie, Douglas attribue aussi une polarité aux divers flux de monnaie. Certains flux monétaires sont positifs et d'autres sont négatifs (Douglas 1924a).
La monnaie est donc positive depuis son émission par le système bancaire jusqu'à sa réception par le consommateur et elle est négative lorsqu'elle quitte le consommateur par le mécanisme du prix des biens et services de consommation et retourne vers le système bancaire pour son extinction. Il en est de même pour la monnaie qui circule entre producteurs seulement: elle est positive lors de l'émission à un producteur et négative lorsque le producteur paie à un autre producteur le prix des biens ou services qu'il achète. Cette prise en compte de la polarité de la monnaie est un facteur important, car elle prévient la simple addition des unités de monnaie sans égard à leur direction de circulation, sans égard au fait que ces unités de monnaie créent des coûts ou, au contraire, liquident des coûts.
c) Le crédit d'emprunt et le crédit d'achat
Quant au crédit financier, Douglas en distingue deux formes: le crédit d'emprunt et le crédit d'achat, qui correspondent respectivement aux deux catégories de la demande effective pour des biens et services, la demande pour les biens de capital d'une part et la demande pour les biens de consommation d'autre part (Douglas 1920a). Le crédit d'emprunt est soit interne soit externe, auquel cas il prend la forme de crédit à l'exportation (Douglas 1922a). Le crédit d'emprunt est un crédit remboursable, alors que le crédit d'achat n'est pas remboursable, c'est-à-dire que le crédit d'emprunt doit à un moment ou un autre retourner vers la source d'où il a été émis alors que le crédit d'achat n'est pas tenu d'y retourner, bien que généralement il y retournera après avoir servi à l'achat des biens et services de consommation.
d) Le crédit financier est aussi un crédit social
Parce qu'il est le reflet du crédit réel, la propriété du crédit financier est elle aussi commune ou sociale (Douglas 1924a).
1.3 Le vrai coût de la production est la consommation
Le concept du vrai coût de la production est une approche réelle ou physique et non pas une approche monétaire. Sous ce point de vue, le coût d'une production est l'ensemble des coûts de ce qui a été consommé —biens de consommation, biens intermédiaires et biens d'équipement— pendant la période où cette production a été exécutée (Douglas 1929a). En conséquence, étant donné que la production de toute nature durant une période de temps donnée est généralement supérieure à la consommation de toute nature durant cette même période, le coût réel de cette production est inférieur au coût monétaire. Lorsque la production s'accélère, le coût réel diminue.
Les coûts sont les déboursés nets des producteurs, c'est-à-dire les frais résultant de sorties monétaires pour les salaires et pour les factures payables à la fin du mois. Les prix ajoutent aux coûts par l'inclusion du coût des biens d'équipement et autres biens de capital —et non du coût de la dépréciation des biens de capital— et par le profit. Les prix sont les déboursés nets des consommateurs. Donc, dans la vision de C.H. Douglas, le coût est le mécanisme de distribution du pouvoir d'achat tout au long d'une production donnée, alors que le prix est le mécanisme de retrait du pouvoir d'achat au moment où le produit, terminé et offert en vente, est acheté (Douglas 1920a).
Comparant coût et prix, Douglas remarque que la formation des prix est contrainte par deux limites: une limite inférieure qui est le coût et une limite supérieure qui dépend de l'offre et de la demande (Douglas 1922a). Suivant la loi de l'offre et de la demande, les prix devraient s'ajuster tantôt à la hausse, lorsque la demande est supérieure à la l'offre, et tantôt à la baisse, lorsque la demande est inférieure à l'offre, mais Douglas relève que ce processus ne fonctionne que dans une seule direction, c'est-à-dire à la hausse (Douglas 1920a).
Cette condition est due au fait que les délais de production et distribution obligent les producteurs à avoir des stocks en avance pour les matières premières, les biens intermédiaires et même les biens finis, de sorte qu'une baisse des prix les place en face d'une perte sur tous leurs stocks (Douglas 1920a). Fondamentale dans la vision économique de Douglas, cette condition est généralement ignorée (Douglas 1930a).
En effet, les modèles économiques sont le plus souvent des modèles d'équilibre partiel. Même les modèles d'équilibre général calculable, qui tentent de simuler une économie de marché où les prix et les quantités de produits et de facteurs s'ajustent pour égaliser l'offre et la demande, ne prennent pas en compte les stocks de biens. Parce qu'il est généralement utilisé pour simuler les effets d'un changement de politique de l'État ou un changement dans l'environnement externe, en introduisant le changement et en résolvant pour le nouvel équilibre offre-demande (Decaluwé 2001), le modèle d'équilibre général calculable constitue un véhicule approprié à la représentation d'une économie nationale où les politiques du crédit social seraient appliquées, pourvu que les stocks de biens et les autres types de stocks y soient modélisés (Boucher 2001).
Il faut aussi noter, chez Douglas, une conception quantitative et qualitative du pouvoir d'achat (Douglas 1920a). Suivant cette conception, Douglas distingue le pouvoir d'achat réel, qui est une monnaie issue de la production des biens et services de consommation, et la pure inflation de la monnaie qu'est une monnaie issue de la production des biens intermédiaires et des biens d'équipement, lequel enflement de la monnaie dilue le pouvoir d'achat de la monnaie issue de la production des biens et services de consommation (Douglas 1920a). Douglas remarque en effet que, parce qu'elle est en avance des produits de consommation qui en résulteront, la monnaie distribuée dans le cadre de la production des biens d'équipement ou des biens intermédiaires provoque l'inflation des prix des biens et services de consommation et donc dilue le pouvoir d'achat (Douglas 1920b).
Le véritable coût de la production, qui établit le prix des biens et services de consommation comme étant une fraction de leur coût de production, Douglas l'a nommé juste prix (Douglas 1920a) ou vrai prix (Douglas 1920b) ou vrai coût (Douglas 1929a). Le vrai coût est une mesure relative, un ratio, reproduisant par rapport au coût de production, le rapport de la consommation globale et de la production globale:
Juste prix = Consommation totale
Coût de production Production totale
où il faut comprendre que le coût de production exclut le coût du capital et le profit et qu'en conséquence, il correspond uniquement aux déboursés de la production (Douglas 1922a).
CHAPITRE 2
Le diagnostic
"Je sais que la plupart des gens, y compris ceux qui sont à l'aise devant
des problèmes de la plus grande complexité, acceptent rarement
même la plus simple et la plus évidente des vérités si elle les oblige
à admettre la fausseté des conclusions qu'ils se sont plu à expliquer
à leurs collègues, qu'ils ont fièrement enseignées à d'autres
et qu'ils ont nouées, fil après fil, dans le tissu de leur existence."
Léon Tolstoï
C.H. Douglas reproche au système financier de prétendre réfléter le crédit réel par du crédit financier, alors qu'il observe que tel n'est pas le cas. Son diagnostic porte donc d'une part, sur le fait que le crédit financier représenté par le pouvoir d'achat est déficient par rapport au crédit réel représenté par les prix, et ce, en raison d'un défaut du système des prix, et d'autre part, que le système financier est incapable de corriger la déficience du pouvoir d'achat, en raison de la conception bancaire de la monnaie qui en est la base, c'est-dire une monnaie qui est un bien fabriqué et commercé en vue du profit.
L'interprétation populaire du diagnostic douglasien relie généralement le problème du système financier aux profits, et particulièrement aux profits des banques. Pourtant en maints endroits et en particulier, dans son dernier ouvrage technique, The Monopoly of Credit (Douglas 1931a), Douglas affirme clairement que les profits ne sont pas la cause principale du malfonctionnement du système financier, mais qu'un défaut structurel du système des prix en est responsable.
2.1 La déficience du pouvoir d'achat en face des prix
Lorsqu'il compare la quantité globale de monnaie disponible entre les mains des consommateurs et la quantité globale des produits exprimée par les prix, produits de toute nature, c'est-à-dire biens intermédiaires, biens d'équipement et biens de consommation, tant privés que publics, C.H. Douglas diagnostique une déficience du pouvoir d'achat en face des prix (Douglas 1920a, 1924a, 1930a, 1930b et 1931a) et cette déficience est structurelle et non conjoncturelle (Douglas 1930a).
Douglas précise que son diagnostic ne vise pas seulement la distribution inéquitable du pouvoir d'achat, qui fait que certaines personnes n'ont pas assez de pouvoir d'achat alors que d'autres en ont en surplus, mais bien une insuffisance du pouvoir d'achat global nonobstant la distribution inéquitable (Douglas 1924a). Cependant, lorsqu'il identifie une déficience du pouvoir d'achat global, Douglas ne dit pas —et il affirme lui-même n'avoir jamais dit— que le système financier actuel ne distribue pas suffisamment de pouvoir d'achat pour acheter les biens et services de consommation qui sont à vendre, mais plutôt que le système productif doit être constamment en état de surproduction (Douglas 1918 et 1931a) pour que le système financier distribue assez de pouvoir d'achat pour l'achat des biens et services de consommation qui sont à vendre (Douglas 1936).
Cette surproduction doit être particulièrement une production de biens et services qui ne sont pas immédiatement achetables par le consommateur (les biens de capital) ou qui ne sont pas destinés au consommateur (les exportations) ou bien une production qui est simplement gaspillage ou pollution (Douglas 1920a).
Par son diagnostic de déficience du pouvoir d'achat en face des prix, Douglas dénonce tout ce qui cause, augmente ou accélère la désynchronisation du mécanisme de création des prix qui distribue le pouvoir d'achat —lequel mécanisme est synchrone avec le mécanisme physique de production— et du mécanisme de liquidation des coûts qui retire le pouvoir d'achat, condition qui crée à un rythme de plus en plus accéléré un délai de plus en plus grand entre la distribution du pouvoir d'achat et la liquidation des coûts dans lequel ce pouvoir d'achat est apparu (Douglas 1920a, 1920b et 1931a).
Autrement dit, les consommateurs achètent la production actuelle avec de la monnaie distribuée dans le cadre de la production future. Avec l'allongement du processus de production, la production actuelle est achetée avec de la monnaie distribuée pour une production de plus en plus lointaine —la propagande en faveur de l'investissement massif dans les biens d'équipement faisant maintenant place de plus en plus à la propagande en faveur de l'investissement massif en recherche et développement— et cet allongement se fait de plus en plus rapidement.
2.2 La cause réelle de la déficience du pouvoir d'achat
Douglas énonce que du point de vue de la réalité, c'est-à-dire du point de vue physique, la cause de la déficience du pouvoir d'achat est intimement liée au remplacement du travail humain par le travail de la machine (Douglas 1931a). Les effets physiques de ce remplacement du travail humain identifiés par Douglas sont décrits comme suit:
Si une unité de travail humain aidée par le pouvoir mécanique et la machine produit "n" fois plus que la même unité de travail sans de telles aides,
alors la production est "n" fois plus importante;
et
les besoins de la population doivent s'accroître au taux d'accroissement de la capacité de production
et
les mécanismes financiers doivent être ajustés pour permettre la distribution de la production;
ce que révèle la comparaison du modèle 1, petite économie de cueilleurs de fruits et de céréales, avec main-d'oeuvre mais sans capital, et du modèle 2, la même petite économie devenue agricole avec l'introduction d'outils, donc avec main-d'oeuvre et capital, dont les équations peuvent être trouvées à l'annexe A et la définition des variables à l'annexe B. Ces modèles de même que le modèle 3 sont fortement inspirés des travaux des modélisateurs de l'équilibre général calculable (Decaluwé 2001).
L'introduction des outils multiplie la production par 4, en volume et en valeur, puisque XS passe de 1000 à 4000 unités et PXS passe de 2000 à 8000 unités numéraires, lorsqu'on conserve la main-d'oeuvre L à 160 unités de travail. La demande XD est elle aussi multipliée par 4 et augmente de 1000 unités à 4000 unités et PXD passe de 2000 à 8000 unités numéraires.
Bien qu'on observe dans les deux modèles un équilibre sur tous les marchés: marché de la main-d'oeuvre (LS = LD = 160), marché des produits (XS = XD = 1000 ou XS = XD = 4000), marché des investissements et des épargnes (IT = SM = 160 ou IT = SM = 640), il n'y a pas, dans l'économie agricole, en face des prix des biens de consommation, un pouvoir d'achat global suffisant, car les salaires distribués (S L = 1600 unités numéraires) sont de beaucoup inférieurs aux prix des biens de consommation offerts (PC = 5760 unités numéraires). La cause en est que seulement le quart (1/4) de la production est le résultat du travail de la main-d'oeuvre (α = 0,25 dans la fonction de production) alors que les trois quarts (3/4) sont le résultat du travail de la machine (1- α = 0,75 dans la fonction de production). Par contre, dans l'économie des cueilleurs, où les salaires distribués (S L = 1600 unités numéraires) sont supérieurs aux prix des biens de consommation offerts (PC = 1440 unités numéraires), il y a un pouvoir d'achat suffisant, car la totalité de la production est le résultat du travail de la main-d'oeuvre (α=1).
Il est important de rappeler que, pour Douglas, le rendement du capital (R K = 4800 unités numéraires dans le modèle 2) considéré par l'économique orthodoxe comme la rémunération des détenteurs des biens de capital, n'est pas un coût de production, mais est un coût du capital et donc, n'est pas du pouvoir d'achat des consommateurs. En effet, les détenteurs du capital physique ont fabriqué ou acheté ce capital et ils ont eux-mêmes des coûts de production ou d'achat ou de financement à rembourser à même les revenus obtenus de la location de ces biens de capital aux producteurs.
La contrepartie de la première description des effets physiques du remplacement du travail humain identifiés par Douglas s'énonce comme suit:
Sinon seulement "1/nième" du travail humain est nécessaire;
et
un nombre décroissant de personnes seront requises pour la production
et
si la rémunération de ce nombre décroissant d'individus n'augmente collectivement jusqu'au montant, antérieurement distribué à un plus grand nombre de travailleurs, qui achèterait cette production plus grande,
alors les coûts et les prix doivent tomber;
sinon une proportion croissante des biens ne peuvent être vendus aux personnes qui les ont produits;
ce que montre l'examen du modèle 3, où la petite économie devenue agricole a choisi de ne pas mettre en oeuvre toute la capacité nouvelle de produire (voir les équations à l'annexe A).
La demande de main-d'oeuvre LD = 40 est inférieure à l'offre de main-d'oeuvre LS = 160 et l'équilibre n'existe plus sur le marché de la main-d'oeuvre. La demande et la production, en volume comme en valeur, demeurent égales à 1000 unités et 2000 unités numéraires et il y a équilibre sur le marché des produits (XS = XD = 1000 unités). Il y a aussi équilibre sur le marché des investissements et des épargnes (IT = SM = 160 unités numéraires).
Selon Douglas, le pouvoir d'achat des consommateurs correspond aux salaires distribués (S L = 400 unités numéraires) et ce pouvoir d'achat est largement inférieur aux prix des biens de consommation offerts (PC = 1440 unités numéraires), pour la même raison énoncée précédemment, à savoir que le rendement du capital (R K = 1200 unités numéraires) est un coût du capital et non un coût de production. Le rendement du capital est un coût existant transféré entre producteurs et non un coût nouvellement créé par les producteurs.
Douglas remarque que puisque salaires, coûts et pouvoir d'achat sont différents aspects de la même chose, une chute continue des coûts sous l'actuel système financier est accompagnée d'une chute continue des salaires, et donc du pouvoir d'achat, et, bien qu'obviant ces conséquences dans une certaine mesure, une chute de prix place l'entrepreneur en face d'une perte sur la totalité de ses stocks, perte qu'il n'est habituellement ni désireux ni capable de prendre (Douglas 1931a).
2.3 Les causes financières de la déficience du pouvoir d'achat
Du point de vue financier, Douglas relève au moins cinq grandes causes à la situation de déficience du pouvoir d'achat en face des prix (Douglas 1931b):
- la collecte de profits monétaires auprès du public, incluant l'intérêt qui est un profit sur un intangible;
- l'épargne, ou en d'autres mots l'abstention d'achat;
- le réinvestissement de l'épargne dans de nouveaux travaux, qui crée un nouveau coût sans nouveau pouvoir d'achat;
- le double circuit de la monnaie, dont l'énoncé est connu sous le nom de théorème A+B, où la différence de vélocité entre la liquidation des coûts et la création des prix résulte en frais inclus dans les prix à partir d'un cycle antérieur de comptabilité des coûts;
- la déflation, c'est-à-dire la vente de titres ou le rappel de prêts par les banques.
Parmi ces cinq grandes causes financières, Douglas considère que les plus importantes sont "le double circuit de la monnaie" et "le réinvestissement de l'épargne" (Douglas 1930a, 1930b et 1931a) et à son avis, ces deux causes sont en elles-mêmes suffisantes pour expliquer la situation de déficience (Douglas 1930b).
a) La collecte de profits monétaires auprès du public
La collecte de profits monétaires auprès du public est une cause de déficience du pouvoir d'achat en face des prix, car l'inclusion du profit dans les prix a pour effet de redistribuer inéquitablement le pouvoir d'achat en le concentrant en un petit nombre de mains et ainsi, une part de plus en plus grande du pouvoir d'achat est mise à l'écart du processus de liquidation des coûts (Douglas 1931a).
En conséquence, le contrôle de la production et donc du crédit réel est, de cette façon, transféré du consommateur au financier (Douglas 1931a).
b) L'épargne
L'épargne est aussi une cause de déficience de pouvoir d'achat face aux prix parce qu'elle met hors de circulation, temporairement ou définitivement, de la monnaie qui est apparue dans les coûts et donc dans les prix des produits et qu'en conséquence les prix dans lesquels ces coûts sont apparus ne peuvent être tous liquidés (Douglas 1930a).
L'épargne des consommateurs ne peut être considérée purement comme une consommation reportée dans le temps. Le taux d'épargne nette est toujours positif, sauf en temps de crise économique profonde où il y a alors désépargne des consommateurs.
De plus, les producteurs ont aussi la possibilité de mettre de la monnaie en réserve par l'épargne. L'épargne des producteurs est constituée de profits non distribués en dividendes, dont une partie prend souvent la forme de réserve pour dépréciation des biens de capital. Cette épargne empêche d'une part que la déficience causée par la collecte des profits soit jamais comblée, puisqu'il n'y a pas redistribution des profits sous forme de monnaie de consommation (Douglas 1925), et d'autre part, la réserve pour dépréciation, lorsqu'elle est utilisée pour l'achat de biens d'équipement devient un des cas de réinvestissement de l'épargne.
c) Le réinvestissement de l'épargne
Le financement de la production des biens d'équipement et autres biens de capital par le biais du réinvestissement de l'épargne aggrave la déficience de pouvoir d'achat causée par l'épargne en occasionnant la création de nouveaux prix sans création de nouveau pouvoir d'achat (Douglas 1930a).
L'exemple qui explicite cette situation (Douglas 1931a) est celui d'un travailleur qui chaque semaine épargne 20% de son salaire et à la fin de cent semaines achète des actions d'une entreprise manufacturière de machinerie. À chaque semaine, le montant épargné a empêché l'achat des produits dans lesquels il était apparu comme coût et, à la suite du réinvestissement, la somme est réapparue comme salaire dans la production de machinerie restaurant ainsi la déficience occasionnée dans le premier cycle de production et permettant l'achat des produits invendus. Mais le coût de la machinerie produite dans le second cycle de production est un frais sur une future production, frais en regard de laquelle aucun pouvoir d'achat n'existe.
Le cas est similaire pour le réinvestissement des profits de l'entreprise dans de nouveaux biens d'équipement (Douglas 1930a).
Lorsqu'il y a récursivité du processus, c'est-à-dire lorsque la somme redistribuée dans un second cycle de production est à nouveau réinvestie, l'effet sur la déficience du pouvoir d'achat est cumulatif.
d) Le double circuit de la monnaie: le théorème A+B
C.H. Douglas pousse plus loin la généralisation de la proposition concernant le réinvestissement de l'épargne de façon à obtenir une vision encore plus générale du défaut du système des prix. Ce défaut, Douglas l'identifie comme étant "le double circuit de la monnaie dans l'industrie" (Douglas 1920a, 1920b et 1931a), mieux connu sous le nom de "théorème A+B". Douglas considère que le double circuit de la monnaie dans l'industrie est une caractéristique structurelle de l'économie.
Le double circuit de la monnaie dans l'industrie doit être compris comme la généralisation de la proposition concernant le réinvestissement de l'épargne dans le sens où la totalité des paiements en salaires, traitements et dividendes distribués durant une période de production donnée retourne aux producteurs, durant cette même période, à travers les prix des biens et services vendus aux consommateurs, pour refinancer un nouveau cycle de production en créant de nouveaux prix sans addition de nouveau pouvoir d'achat (Douglas 1931a).
Les figures suivantes permettent d'illustrer ce propos.
Figure 1 - Les paiements A et B dans une chaîne de
production de 5 procédés
Dans la figure 1, où la chaîne des procédés comprend cinq procédés qui distribuent chacun des salaires identiques, un cinquième (1/5) seulement de la monnaie de consommation distribuée au total sous forme des salaires est du pouvoir d'achat au sens strict où Douglas l'entend. En effet, seuls les salaires distribués par le procédé V, qui est l'étape de production des biens et services destinés aux consommateurs finals, constituent le pouvoir d'achat des consommateurs. Les salaires distribués par les autres procédés, qui sont des étapes de production de biens intermédiaires et de biens d'équipement, donc de biens de capital, ne sont pas du véritable pouvoir d'achat, mais de la pure inflation.
Par exemple, si chaque procédé distribue 100 unités numéraires, les 400 unités numéraires distribuées par les procédés I, II, III et IV durant le mois de mai s'additionneront aux 100 unités numéraires distribuées par le procédé V durant ce même mois de mai et elles auront pour effet de pousser à la hausse les prix des biens de consommation offerts en mai jusqu'à équivaloir 500 unités numéraires. Les consommateurs paieront 500 unités numéraires les biens de consommation au lieu de les payer 100 unités numéraires, ce qui signifie qu'ils auront payé les biens intermédiaires et les biens d'équipement produits pendant le mois de mai alors que ces biens ne leur sont pas destinés et qu'ils n'en auront pas pris possession.
Les 400 unités numéraires distribuées par les procédés de production des biens de capital devraient demeurer entre les mains des consommateurs pour attendre que les biens de consommation dans le coût desquels ils sont apparus comme salaires parviennent aux consommateurs. Au lieu de n'avoir entre les mains que 5 x 100 unités numéraires en mai, les consommateurs devraient avoir 15 x 100 unités numéraires, c'est-à-dire tous les salaires distribués par les procédés situés sous la diagonale liant le procédé I au procédé V, desquels auraient déjà été retranchés les unités numéraires correspondant à des biens définitivement consommés durant le processus de production et qui ne parviendront pas aux consommateurs dans les biens finals.
Dans la figure 2, où la longue chaîne des procédés en compte quarante, le pouvoir d'achat réel est considérablement diminué et est seulement un quarantième (1/40) de la monnaie de consommation totale distribuée. Les trente-neuf quarantièmes (39/40) restants paient en réalité les coûts des biens intermédiaires et des biens d'équipement consommés durant la période en question et ne paient pas pour les biens de consommation disponibles pour la vente durant cette période.
C.H. Douglas établit que le déficit de pouvoir d'achat dans une période donnée est égal aux paiements B de cette période (Douglas 1931b).
e) La déflation
La déflation, c'est-à-dire la décroissance de la monnaie en circulation, est mise en oeuvre par la vente de titres par les banques et par le rappel des prêts (à l'inverse de l'inflation, ou croissance de la monnaie en circulation, qui est issue de l'achat de titres par les banques et de l'octroi de prêts). La déflation est une cause de déficience de pouvoir d'achat car elle restreint le crédit d'emprunt qui compense habituellement la déficience de pouvoir d'achat issue d'autres causes (Douglas 1929a).
La déflation est certes une cause puissante de déficience du pouvoir d'achat en face des prix puisqu'elle en rend visibles les effets habituellement latents. Récessions et dépressions économiques, caractérisées par un chômage épidémique et la prolifération des faillites, accompagnent la déflation et sont les signes tangibles de la déficience du pouvoir d'achat. Cependant, contrairement aux quatre autres causes qui sont toujours présentes et sont en fait inhérentes au système, la déflation survient à certains intervalles plus ou moins réguliers et cette forme d'occurrence diminue le poids de cette cinquième grande cause.
Pour conclure sur les causes financières de la déficience du pouvoir d'achat, C.H. Douglas remarque qu'à l'exception de l'épargne, les quatre autres causes de déficience du pouvoir d'achat en face des prix peuvent être ramenées aux paiements B (Douglas 1931b).
2.4 Les objections au théorème A+B
Le théorème A+B a été l'objet d'une acrimonieuse controverse, depuis sa formulation en 1920 jusque bien au-delà de la mort de Douglas. Il s'impose donc de traiter les principales objections qui ont été soulevées par les opposants de Douglas et de présenter les réponses que Douglas a données. Dans son dernier ouvrage technique, The Monopoly of Credit (Douglas 1931a), C.H. Douglas rassemble les objections habituelles au théorème A+B et y reprend longuement les réponses qui ont toujours été les siennes.
a) Les paiements en salaires pour la production des biens de capital compensent les paiements B
La première objection est relative à la soi-disant égalité des paiements en salaires pour la production de biens intermédiaires et biens d'équipement et des coûts liés aux paiements B présents dans le prix des biens de consommation (Douglas 1931a).
Le premier élément de la réponse de Douglas concerne une situation où il n'y a pas d'équilibre de la production et de la consommation des biens intermédiaires (Douglas 1931a). Chaque étape de production comprend trois éléments de coûts: les matériaux, le travail et —la première étape exceptée— le produit en cours issu d'une précédente étape de production. L'interprétation de cette réponse permet d'établir que dans le cas où un procédé de production consomme à une étape donnée plus de biens intermédiaires —c'est-à-dire le produit en cours issu d'une étape précédente et le matériel de l'étape concernée— que les procédés qui produisent ces biens intermédiaires n'en ont produit dans l'étape concernée, alors les paiements en salaires ne peuvent compenser les coûts occasionnés par les paiements B. Par exemple selon la figure 1, si le procédé IV consomme davantage du produit en cours au mois de mars que le procédé III n'en produit en ce même mois de mars, alors les coûts inclus dans la production du procédé IV sont supérieurs aux salaires distribués dans le procédé III durant le mois en question.
Le second élément de la réponse est relatif aux frais de dépréciation des biens d'équipement que Douglas assimile aux paiements B. Ces frais introduisent aussi une disparité entre les coûts créés et les salaires distribués, en ajoutant un élément de coût puisé dans une réserve de coûts vis-à-vis de laquelle il n'existe aucune réserve de monnaie de consommation (Douglas 1930a). De plus, dans l'hypothèse où il y a équilibre de la consommation et de la production des biens intermédiaires et biens d'équipement, c'est-à-dire lorsque les biens intermédiaires et les biens d'équipement consommés dans le processus de production durant une période donnée sont strictement remplacés durant cette même période, comme dans les exemples de la petite économie qui évolue de la cueillette vers l'agriculture, la variation à la baisse du rapport des coûts directs aux coûts indirects empêche l'égalité des salaires distribués durant la période et des prix des biens de consommation devenus disponibles durant cette période (Douglas 1931a).
Chaque fois qu'une somme de monnaie qui quitte les mains du consommateur pour retourner s'éteindre à son point d'origine dans le système bancaire, s'éteint avant les prix qu'elle a créés lors de son trajet depuis son émission par la banque, il se produit un déséquilibre correspondant entre la monnaie et les prix (Douglas 1931a). C'est pourquoi Douglas considère que la disparité existe même dans une situation d'équilibre de la production où, par hypothèse, la consommation et la production de biens intermédiaires de même que la consommation et la production de biens d'équipement s'égalent à chaque période de production considérée et ce, même en l'absence de profit, de frais de dépréciation et d'inflation des prix, et donc à plus forte raison en présence de profit, de dépréciation et d'inflation qui absorbent rapidement le pouvoir d'achat additionnel provenant de la production des biens intermédiaires (Douglas 1931a).
b) Les paiements B sont des salaires distribués dans le passé
La seconde objection est celle relative au fait que les coûts résultant des paiements B correspondent à des paiements en salaires effectués dans le passé pour les biens intermédiaires et les biens d'équipement dont les coûts apparaîssent dans les prix des biens de consommation. À cette objection, la réponse de Douglas est que l'absence d'une réserve de monnaie de consommation en vis-à-vis de la réserve de coûts des biens intermédiaires et d'équipement non consommés est signe que la monnaie de consommation, bien que distribuée dans le passé, n'est plus en existence pour liquider les coûts créés par les paiements B (Douglas 1931a).
2.5 L'échec du paradigme bancaire
La seconde partie du diagnostic de Douglas concerne l'incapacité du système financier à corriger la déficience du pouvoir d'achat.
La critique que fait Douglas du paradigme économique actuel, qui est un paradigme bancaire en raison de la définition bancaire de la monnaie, n'est pas d'abord morale bien que les raisons de critique sur ce plan ne lui manquent pas. La critique de Douglas est d'ordre fonctionnel: un système financier basé sur le pouvoir bancaire de création et de destruction de la monnaie ne fonctionne pas (Douglas 1924a).
Les politiques économiques orthodoxes relevant d'un paradigme économique bancaire sont incapables de corriger les défauts qui existent dans le système financier. La récurrence des problèmes économiques sont des signes évidents de l'échec des tentatives de solution. Cela est dû au fait que des deux aspects financiers, seul le premier, la monnaie, est entièrement et parfaitement contrôlé alors que le second, les prix, est imparfaitement contrôlé puisqu'il l'est de façon plus ou moins indirecte à travers le premier, c'est-à-dire à travers la quantité de monnaie entre les mains des consommateurs (Douglas 1924a).
Le défaut de prendre en compte la polarité des flux monétaires est la cause de l'échec des politiques orthodoxes relatives au contrôle des prix. Le contrôle sur le flux monétaire positif, qui représente le taux d'émission de la monnaie, n'implique pas qu'il y ait contrôle sur le flux monétaire négatif, qui représente le taux de retrait de la monnaie, dans le cas de la restriction de l'émission de monnaie. Une restriction de l'émission de monnaie ne peut être entièrement répercutée dans une restriction du retrait de la monnaie, étant donné que les producteurs ne sont pas intéressés à vendre sans profit et encore moins à vendre sous le coût. En effet, les coûts que les producteurs doivent récupérer ont été principalement formés dans le passé alors que le taux d'émission de la monnaie était supérieur au taux courant (Douglas 1924a).
Douglas remarque finalement qu'il y a, dans le système financier actuel, divers mécanismes qui tentent de corriger la situation de déficience. Les biens de consommation sont donc vendus malgré la déficience de pouvoir d'achat grâce aux mécanismes économiques suivants (Douglas 1931a):
- la redistribution de la monnaie par les programmes sociaux;
- la redistribution par la taxation de la monnaie obtenue par les exportations, les investissements étrangers et les exportations invisibles (le transport);
- la distribution de prêts bancaires en salaires dans la surproduction de biens de capital;
- les ventes sous le coût par les faillites, les ventes forcées et la destruction physique;
à la liste desquels il faut aussi ajouter l'endettement croissant des personnes, des entreprises et des gouvernements.
C'est pourquoi C.H. Douglas propose une solution conséquente à son diagnostic.
CHAPITRE 3
La solution
"Plus nous sommes convaincus de marcher dans la vérité,
plus nous déployons d'efforts vers notre idéal."
Jean Guitton
Appliquant la démarche de l'ingénieur à la recherche d'une solution, Douglas estime essentiel de déterminer avant tout le but et les objectifs auxquels doit répondre une solution dans l'ordre économique.
Le but du système économique, Douglas le définit comme la réponse facile et rapide aux besoins économiques par une activité fonctionnelle des hommes et des femmes dans l'ordre économique, activité soutenue par une organisation économique qui respecte l'individualité et n'empiète pas sur les autres activités fonctionnelles (Douglas 24b).
Les objectifs qui découlent du but du système économique, Douglas les définit comme suit (Douglas 1920a):
- produire un programme défini répondant aux nécessités de la vie (nourriture, vêtement et logement) avec une dépense minimale d'énergie;
- poursuivre la substitution des forces de la nature à l'effort humain par le biais de la machine;
- distribuer équitablement la totalité de la production;
- fournir la plus puissante motivation possible à l'efficacité.
Il est remarquable de souligner la dimension "développement durable" des objectifs formulés par Douglas en 1920.
3.1 Les politiques essentielles
Si C.H. Douglas a formulé plusieurs politiques économiques dont l'application répondrait aux principes généraux d'un système financier qui reflète la réalité de la capacité de production et distribution des biens et services de consommation, il précise que deux de ces politiques sont essentielles et, bien que les méthodes d'application puissent varier, elles doivent être appliquées toutes les deux.
La première de ces politiques essentielles est l'abaissement du niveau des prix de détail sous le coût de production par une remise au consommateur (Douglas 1920a, 1920b, 1924a, 1930a et 1931a) ou un escompte au consommateur compensé au producteur (Douglas 1920b et 1922b). La seconde politique est la distribution générale de pouvoir d'achat correspondant au gain de productivité sous forme d'un dividende sur le capital réel national (Douglas 1920a, 1922b, 1924a et 1931a).
Ces deux politiques ont comme caractéristique de fournir du pouvoir d'achat non inclus dans les coûts de production et donc non inclus dans les prix (Douglas 1922a). Car C.H. Douglas a observé les mécanismes correcteurs déjà existants dans le système économique et il propose une adaptation de ces mécanismes en relation avec sa conception du crédit réel et de son reflet, le crédit financier (Douglas 1924a).
a) L'abaissement du niveau de prix sous le coût de production
L'application d'un prix compensé ou escompte compensé réfère à la notion de juste prix ou vrai coût de la production, qui est le coût énergétique de la production et non son coût comptable. Le prix à payer à la caisse pour les biens et services de consommation n'est donc pas leur prix comptable, mais est une fraction minime de ce prix comptable inférieure au coût de la production (Douglas 1929a). Douglas précise que les politiques du prix compensé et de l'escompte compensé ne fixent pas les prix, elles ajustent le niveau des prix. La distinction est importante, car l'ajustement du niveau des prix respecte les lois de la concurrence alors que la fixation des prix les contrecarre (Douglas 1930a).
La méthode d'abaissement du niveau des prix généralement suggérée par Douglas est le prix compensé (Douglas 1920a, 1920b, 1924a, 1925, 1930a et 1931a). Cette méthode consiste à laisser le consommateur payer le prix comptable lors de l'achat des biens et services et par la suite, sur présentation de pièces justificatives, à lui faire une remise correspondant à la différence entre le prix comptable et le vrai prix ou "juste prix" des biens et services achetés (Douglas 1929a)
Dans un schéma d'application ébauché pour l'industrie minière britannique, Douglas présente une autre méthode d'abaissement du niveau des prix qui est l'escompte compensé (Douglas 1920b et 1922a), laquelle est la méthode généralement reprise par les autres auteurs. Suivant cette seconde méthode, un escompte national sur tous les prix de détail est périodiquement décrété de sorte que le consommateur paie non pas le prix comptable, mais le "juste prix" des biens et services achetés et qu'ensuite, sur présentation de pièces justificatives, les producteurs obtiennent une compensation correspondant à l'escompte accordé aux consommateurs sur les biens et services vendus (Douglas 1930a).
En reprenant le modèle 2 de l'économie agricole qui a répercuté le gain de productivité associé à l'introduction d'outils en une production multipliée par 4, on observe une déficience du pouvoir d'achat qui s'établit comme suit:
S L = 1600 < 5760 = PC
Le vrai coût ou juste prix se calcule alors comme une fraction du coût de production égale au rapport de la consommation totale à la production totale, soit 72% du coût de la main-d'oeuvre. Les consommateurs paieront 1152 unités numéraires pour des biens et services marqués au prix de 5760 unités numéraires. Dans l'hypothèse où tous les biens de consommation sont vendus, l'escompte qui est ainsi globalement consenti est égal à la différence entre le prix de vente des biens et services de consommation (prix comptable) et le prix payé à la caisse (juste prix), soit 4608 unités numéraires, et la compensation globalement payée aux vendeurs est elle-même égale à ce montant.
Le taux d'escompte calculé au plan national est 72%. Comme il est appliqué au coût de production, on remarquera que le taux d'escompte sur le prix de détail est plus élevé, à 80%, étant le rapport de l'escompte accordé au prix comptable des biens de consommation vendus (4608 / 5760). Ce chiffre est compatible avec les estimés de Douglas qui établit à 95% du prix comptable le coût du capital qui doit être retiré du prix des biens et services destinés aux consommateurs.
Par ailleurs, il est intéressant de vérifier que dans le modèle 1, celui d'une économie de cueilleurs, il y a place pour un escompte, même si le pouvoir d'achat des consommateurs est suffisant pour acheter les biens et services de consommation au prix marqué. Le taux d'escompte national est 72% et le juste prix des biens est 1152 unités numéraires, comme dans le modèle 2, puisque les salaires distribués sont les mêmes dans les deux modèles et que le rapport de la consommation totale à la production totale est le même, les nombres étant simplement multipliés par 4 dans le modèle 2. L'escompte globalement consenti aux consommateurs et la compensation globalement payée aux vendeurs se chiffrent à 288 unités numéraires. Les consommateurs paient donc le juste prix et le taux d'escompte sur les prix de détail est 20%, ce qui correspond au coût des biens intermédiaires non encore consommés dans le processus de production, dans cette économie où il n'y a pas de biens de capital dont le coût viendrait gonfler les prix des biens destinés à la consommation finale.
b) La distribution des gains de productivité
Douglas affirme que les structures productrices ne peuvent prétendre être les seuls canaux de distribution du pouvoir d'achat, car elles s'approprient ainsi l'héritage culturel communautaire et l'incrément d'association. Selon Douglas, cet incrément non gagné repose de façon inaliénable sur une base de capital et non pas de travail et de ce fait, c'est le dividende qui est le véhicule de distribution de l'incrément d'association (Douglas 1922b). Le dividende est donc le successeur logique du salaire, et un successeur doté de privilèges, car alors que le salaire est une distribution de pouvoir d'achat révocable par autorité, le dividende est le paiement absolu et inconditionnel d'un dû (Douglas 1920b).
Selon la description que donne Douglas du mécanisme du dividende national, tous les citoyens et citoyennes d'un pays —hommes, femmes et enfants— se partagent également des actions représentant le capital réel national. La valeur monétaire de ces actions s'apprécie avec l'appréciation du capital national, c'est-à-dire avec le développement de la capacité de production nationale. Ces actions paient un dividende périodique correspondant à la division de la différence entre la capacité de production globale (et pas seulement la production globale réalisée) et la consommation globale d'une période donnée, car le bénéfice obtenu de la capacité de produire est l'excédent de la production sur la consommation pour la période en question.
En ce sens, le dividende global égale le prix à payer global des biens et services de consommation en excédent des traitements et salaires, puisque par hypothèse ces traitements et salaires sont équivalents au coût de la consommation des biens et services encouru par les dépenses dues à l'emploi ou, dans les mots de Douglas, au coût de la maintenance de la population productrice. Autrement dit, la somme des traitements, des salaires et des dividendes sociaux permet de liquider les coûts de tous les biens et services de consommation disponibles pour la vente. Le dividende national équivaut donc à la monétisation de la portion d'énergie non humaine engagée dans la production alors que les traitements et salaires correspondent uniquement à la portion, congrue, de l'énergie humaine utilisée dans la production. Une telle distribution de pouvoir d'achat indépendamment de l'emploi doit être implantée graduellement à partir d'une valeur initiale plus ou moins arbitraire pour laquelle Douglas a suggéré quelques méthodes de calcul (Douglas 1924a et 1931a).
C'est le modèle 3, celui de l'économie agricole qui a traduit le gain de productivité en diminution de la main-d'oeuvre, qui fournit un bon exemple de cadre de calcul du dividende périodique. En privilégiant, pour les fins de l'exemple, l'interprétation qui définit le dividende comme la monétisation de la portion d'énergie non humaine engagée dans le processus de production, alors le dividende global est 1200 unités numéraires, c'est-à-dire la différence entre la valeur ajoutée et les salaires distribués (1600 - 400), à séparer entre tous les individus formant la population. En divisant par 240, le chiffre de la population, on obtient un dividende individuel de 5 unités numéraires.
Le pouvoir d'achat total de la population se calcule alors comme suit: les travailleurs reçoivent leur salaire et le dividende (40 x (10 + 5) = 600 unités numéraires), alors que les non-travailleurs reçoivent le dividende seulement (200 x 5 = 1000 unités numéraires), pour un total de 1600 unités numéraires. Le pouvoir d'achat est ainsi restauré à sa valeur antérieure, bien que la contribution de l'énergie humaine à la production ait diminuée. Avec un tel pouvoir d'achat en face à des prix à payer à la caisse, qui sont de 288 unités numéraires après application de l'escompte, la demande effective pourra augmenter jusqu'à égaler la capacité de production ou jusqu'à saturation des besoins de la population selon la première de ces deux occurrences à survenir.
c) L'objection de l'inflation
L'inflation est l'objection qui est toujours apportée à l'encontre des politiques principales de la solution de Douglas. En réponse à cette objection, Douglas établit d'abord la différence entre une augmentation du pouvoir d'achat et l'inflation de la monnaie et l'inflation des prix (Douglas35). L'inflation est une augmentation du nombre d'unités de monnaie accompagnée par une augmentation équivalente des prix; elle n'altère pas la relation entre la monnaie à dépenser et les prix. Une augmentation de la monnaie à dépenser n'est pas de l'inflation à moins qu'elle n'entraîne une augmentation des prix. Lorsqu'il y a une augmentation de la monnaie à dépenser accompagnée d'une baisse des prix, il y a accroissement du pouvoir d'achat.
Puis Douglas distingue deux façons de fournir plus de pouvoir d'achat au consommateur: premièrement, le cadeau monétaire ou augmentation de la monnaie entre les mains des consommateurs et deuxièmement, la réduction des prix de détail sous le coût de production (Douglas 1922a) ou une combinaison des deux.
La méthode de l'abaissement des prix est jugée par Douglas plus pratique que le cadeau monétaire, car elle met en oeuvre le pouvoir d'achat seulement au moment où il est désiré, c'est-à-dire au moment de l'achat, et elle est psychologiquement mieux adaptée, car elle évite de doter soudainement le consommateur d'une quantité de monnaie de consommation plus grande que celle à laquelle il est habitué (Douglas 1922a). Douglas affirme que l'abaissement du prix avec compensation soit au consommateur soit au producteur n'est pas inflationniste, parce que l'abaissement s'applique au coût de production, qui répond au premier canon du système de prix, et non au prix de vente, qui répond au second canon du système de prix (Douglas 1930a).
De plus, si l'on tient compte de la polarité des flux monétaires, ni le prix compensé ou escompte compensé ni le dividende national ne peuvent être inflationnistes, parce qu'ils n'entrent pas dans les coûts de production et donc pas dans les prix. La compensation au consommateur ou au producteur et le dividende sont des flux de polarité négative: ils ne créent pas de coûts, ils liquident des coûts.
Il faut aussi comprendre, dans le cas du dividende, que Douglas fait augmenter le dividende tout en réduisant soit les heures de travail soit le nombre d'employés. Le dividende remplace des salaires disparus. De plus, comme le dividende est prédominant et que sa base de distribution est beaucoup plus large que celle du salaire, on peut croire qu'il reste peu de jeu pour l'inflation des prix.
Finalement, puisque dans l'hypothèse douglasienne il y a surproduction de biens d'équipement, de biens pour exportation, de biens inutiles, la production globale d'un pays devrait diminuer avec l'implantation des politiques douglasiennes diminuant du même coup l'assiette d'augmentation potentielle des prix.
3.2 Les politiques subsidiaires
Si le prix compensé ou l'escompte compensé et le dividende national sont les politiques majeures de la solution, elles entraînent la mise en oeuvre de quelques politiques subsidiaires qui facilitent leur application. Au moins trois autres politiques viennent à l'appui des premières tout en leur étant subordonnées.
a) La correction du déficit de pouvoir d'achat accumulé
La correction du déficit accumulé de pouvoir d'achat est un savant mélange d'un escompte sur les prix de détail plus important qu'il ne le serait suivant les statistiques de la production et de la consommation et d'un dividende initial plus élevé ou d'un dividende régulier augmentant plus vite que la productivité, dividende accompagné d'une baisse de l'emploi ou d'heures de travail réduites.
Par exemple, dans une ébauche de plan pour l'Écosse (Douglas 1924a), Douglas suggérait un escompte de départ d'au moins 25%, un dividende initial égal à 1% du capital national et une réduction des heures de travail sans réduction du nombre d'employés. Dans ce plan ébauché pour l'Écosse comme dans une précédente ébauche de plan pour l'industrie minière britannique (Douglas 1920b), Douglas considère comme une transition rapide et en douceur une substitution croissante des salaires par le dividende tout en conservant les personnes à l'emploi avec des heures de travail réduites (Douglas 1922a).
Les mesures transitoires sont appliquées jusqu'à assurer au moins la quantité minimale de crédits d'achat prévue par le premier principe de solution dont l'énoncé peut être trouvé à l'annexe C.
b) Les taxes et impôts abolis
Dans le système économique actuel, il y a deux façons de retirer la monnaie, il existe deux canaux de retrait de la monnaie: premièrement, par l'achat des biens et services de consommation privés et deuxièmement, par les impôts et taxes qui correspondent à peu près à "l'achat" des biens et services de consommation publics.
En conformité avec la dernière partie de l'énoncé du premier principe de solution, qui apparaît à l'annexe C, il pourrait n'exister qu'un seul canal de retrait de la monnaie de consommation qui soit le prix des biens et services de consommation privés. Le paiement de la consommation des biens et services publics serait alors réalisé à même une réduction de l'escompte qui serait autrement accordé sur les prix des biens et services de consommation privés.
L'alternative à l'abolition des taxes et impôts est l'application d'un escompte aux taxes et impôts, de façon à ce qu'ils reflètent exactement la consommation des biens et services publics.
c) La monnaie sans dette ni intérêts
Pour être retirée au rythme de la consommation, la monnaie doit être exempte des contraintes de retour à des dates fixes tel qu'établi par les actuelles politiques bancaires de remboursement des prêts, avances de crédit ou autres formes de création de la monnaie. En ce sens, la monnaie mise en circulation sous forme de crédit aux producteurs ou aux consommateurs ne peut être une dette puisque son retour n'est pas une obligation arbitraire mais est la "complétion" d'un cycle normal de circulation du producteur au consommateur avec retour au producteur à travers les prix des biens et services de consommation, ou d'un producteur à un autre producteur à travers les prix des biens et services de production.
Pour venir au rythme de la production, la monnaie doit avoir une dynamique qui n'est pas entachée par l'effet d'accélération dû aux intérêts. Les intérêts, nonobstant leur nature de profit d'entreprise pour les banques et de récompense pour les déposants, conservent de la monnaie dans le système et la redistribue, ce qui peut aller à l'encontre des autres mécanismes de distribution prévus. Les intérêts alimentent généralement l'épargne qui est définitivement écartée du circuit de la consommation, accélérant la venue de nouvelle monnaie pour remplacer cette monnaie qui devrait être retirée du système.
D'autre part, d'un point de vue éthique, puisque le crédit réel est social, qu'il est de propriété commune, le crédit financier ne peut être créé ou annulé que par un organisme responsable devant la société quoiqu'indépendant du gouvernement. Dans un tel contexte, en ce qui concerne le crédit financier, les actuelles institutions financières peuvent agir à titre de mandataires de la société pour la circulation de ce crédit qu'elles obtiennent de l'organisme responsable pour le transmettre aux producteurs et aux consommateurs et qu'elles retournent à l'organisme responsable lorsqu'il leur est retourné par les producteurs en provenance des consommateurs ou d'autres producteurs.
CONCLUSION
Les recherches dont rend compte ce mémoire ont permis d'une part la construction d'une représentation graphique et mathématique du modèle mental de la réalité économique qu'est la théorie du crédit social de l'ingénieur écossais C.H. Douglas, lequel modèle n'avait jamais encore été mis en équations (Boucher 1993).
Bien que partiel, parce que limité au théorème A+B quant au diagnostic, à l'escompte compensé et à l'abolition des impôts quant aux politiques, le modèle a cependant illustré une désynchronisation du mécanisme de distribution de la monnaie par la formation des prix et du mécanisme de retrait de la monnaie par la liquidation des coûts, qui conduisait soit à une importante perturbation du comportement du système en cas de soutien très partiel de la consommation par du crédit bancaire sous forme d'un budget gouvernemental non balancé, soit à une dégradation menant à l'effondrement du système en cas d'absence totale de soutien par du crédit bancaire. L'application de l'escompte national, qui manipule directement le niveau des prix de détail à la baisse, a rendu possible le fonctionnement économique en l'absence de soutien de la consommation par du crédit bancaire, empêchant la dégradation et l'effondrement du système. Le modèle a été développé avec STELLA (acronyme de Systems Thinking Experiential Learning Laboratory with Animation), un logiciel à interface graphique spécialement adapté à la conception et à la construction du modèle mental d'un phénomène dynamique.
Ces recherches ont d'autre part permis la construction d'un modèle d'équilibre général calculable d'une petite économie typique en autarcie et sans État, avec une approche de modélisation de la dynamique des systèmes, en représentant la réalité économique sous forme d'un modèle de stocks et de flux, plutôt que de flux seulement ou de flux avec quelques stocks seulement (Decaluwé 20001 et Boucher 2001). Le modèle a été développé avec GAMS (acronyme de General Algebraic Modelling System), le logiciel habituellement utilisé pour construire un modèle d'équilibre général calculable; il a aussi été développé avec STELLA.
En introduisant des variables de stock de biens intermédiaires et de biens finis dans un modèle d'équilibre général calculable, il devient possible de modéliser précisément le diagnostic du défaut structurel du système des prix. Cependant, comme les modèles d'équilibre général calculable ne prennent généralement pas en compte la monnaie, mais s'en tiennent à l'économie réelle (Decaluwé 2001), il y a beaucoup de travail à faire avant d'en arriver à un modèle complet de la théorie de Douglas qui permette un essai réaliste des politiques du crédit social. Il n'est pas dit toutefois que ce serait une tâche impossible.
Un intéressant champ de recherche est ouvert par cette perspective, d'abord en étendant le modèle d'une économie en autarcie sans État pour obtenir le modèle d'une économie en autarcie avec État, puis celui d'une économie ouverte sur le reste du monde (Decaluwé 2001).
A ce stade de la recherche, la construction d'un modèle détaillé de l'économie réelle de la Pologne deviendra faisable, avec désagrégation sectorielle plus ou moins prononcée et analyse des politiques du crédit social comme alternative aux potiliques gouvernementales orthodoxes, incluant l'analyse des chocs extérieurs pour prendre en compte les réactions des autres pays et celles de l'Union européenne.
Parallèlement, en tenant compte de l'apport de la méthode de modélisation de la dynamique des systèmes, peu ou pas employée par les modélisateurs de l'équilibre général calculable, la monnaie pourrait être introduite dans le modèle de l'économie de la Pologne pour rendre possible l'analyse d'une politique d'émission de la monnaie sans dette ni intérêts, phénomène crucial à analyser dans le contexte de l'Union européenne.
BIBLIOGRAPHIE
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Annexe A
MODÈLE 1
Economie de cueilleurs de fruits et de céréales
avec main-d'oeuvre mais sans capital
Niveau des prix = 2
[1] POP = 240
[2] LS = 160
[3] XSD := XD = 1000
[4] VAD := v XSD = 0,8 x 1000 = 800
[5] S := Pv α VA = 2 x 1 x 800 = 10
L 160
[6] LD := Pv α VAD = 2 x 1 x 800 = 160
S 10
[7] L := LD = 160
[8] K := KD = 0
[9] VA := A Lα = 5 x 1601 = 800
[10] CI := d VA = 0,2 x 800 = 200
v 0,8
[11] XS := CI = 200 = 1000
d 0,2
[12] DI := CI = 200
[13] P := PXD = 2000 = 2
XS 1000
[14] PXS := P XS = 2 x 1000 = 2000
[15] YM := S L = 10 x 160 = 1600
[16] C := γ YM = 0,9 x 1600 = 720
P 2
[17] SM := φ YM = 0,1 x 1600 = 160
[18] IT := SM = 160
[19] INV := IT = 160 = 80
P 2
[20] XD := DI + C + INV = 200 + 720 + 80 = 1000
[21] PDI := P DI = 2 x 200 = 400
[22] PC := P C = 2 x 720 = 1440
[23] PINV := P INV = 2 x 80 = 160
[24] PXD := PDI + PC + PINV = 400 + 1440 + 160 = 2000
[25] PCI := PDI = 400
[26] PVA := PXS - PCI = 2000 - 400 = 1600
[27] Pv := PVA = 1600 = 2
VA 800
[28] R := 0
Politique de l'escompte compensé
[29] ESCR := PC = 1440 = 0,72
PXS 2000
[30] JPC := S L x ESCR = 1600 x 0,72 = 1152
[31] ESC := PC - JPC = 1440 - 1152 = 288
[32] CMP := ESC = 288
MODÈLE 2
Une économie agricole
avec main-d'oeuvre et capital
Gain de productivité résultant en augmentation de la production
Niveau des prix = 2
[1] POP = 240
[2] LS = 160
[3] XSD := XD = 4000
[4] VAD := v XSD = 0,8 x 4000 = 3200
[5] S := Pv α VA = 2 x 0,25 x 3200 = 10
L 160
[6] LD := Pv α VAD = 2 x 0,25 x 3200 = 160
S 10
[7] L := LD = 160
[8] K := KD = 600
[9] VA := A Lα K1-α = 7,4 x 1600,25 x 6000,75 = 3200
[10] CI := d VA = 0,2 x 3200 = 800
v 0,8
[11] XS := CI = 800 = 4000
d 0,2
[12] DI := CI = 800
[13] P := PXD = 8000 = 2
XS 4000
[14] PXS := P XS = 2 x 4000 = 8000
[15] YM := S L + R K = 10 x 160 + 8 x 600 = 1600 + 4800 = 6400
[16] C := γ YM = 0,9 x 6400 = 2880
P 2
[17] SM := φ YM = 0,1 x 6400 = 640
[18] IT := SM = 640
[19] INV := IT = 640 = 320
P 2
[20] XD := DI + C + INV = 800 + 2880 + 320 = 4000
[21] PDI := P DI = 2 x 800 = 1600
[22] PC := P C = 2 x 2880 = 5760
[23] PINV := P INV = 2 x 320 = 640
[24] PXD := PDI + PC + PINV = 1600 + 5760 + 640 = 8000
[25] PCI := PDI = 1600
[26] PVA := PXS - PCI = 8000 - 1600 = 6400
[27] Pv := PVA = 6400 = 2
VA 3200
[28] R := PVA - S L = 6400 - 10 x 160 = 6400 - 1600 = 4800 = 8
K 600 600 600
Politique de l'escompte compensé
[29] ESCR := PC = 5760 = 0,72
PXS 8000
[30] JPC := S L x ESCR = 1600 x 0,72 = 1152
[31] ESC := PC - JPC = 5760 - 1152 = 4608
[32] CMP := ESC = 4608
MODÈLE 3
Une économie agricole
avec main-d'oeuvre et capital
Gain de productivité résultant en diminution de la main-d'œuvre
Niveau des prix = 2
[1] POP = 240
[2] LS = 160
[3] XSD := XD = 1000
[4] VAD := v XSD = 0, 8 x 1000 = 800
[5] S := Pv α VA = 2 x 0,25 x 800 = 10
L 40
[6] LD := Pv α VAD = 2 x 0,25 x 800 = 40
S 10
[7] L := LD = 40
[8] K := KD = 600
[9] VA := A Lα K1-α = 4,6 x 400,25 x 6000,75 = 800
[10] CI := d VA = 0,2 x 800 = 200
v 0,8
[11] XS := CI = 200 = 1000
d 0,2
[12] DI := CI = 200
[13] P := PXD = 2000 = 2
XS 1000
[14] PXS := P XS = 2 x 1000 = 2000
[15] YM := S L + R K = 10 x 40 + 2 x 600 = 400 + 1200 = 1600
[16] C := γ YM = 0,9 x 1600 = 720
P 2
[17] SM := φ YM = 0,1 x 1600 = 160
[18] IT := SM = 160
[19] INV := IT = 160 = 80
P 2
[20] XD := DI + C + INV = 200 + 720 + 80 = 1000
[21] PDI := P DI = 2 x 200 = 400
[22] PC := P C = 2 x 720 = 1440
[23] PINV := P INV = 2 x 80 = 160
[24] PXD := PDI + PC + PINV = 400 + 1440 + 160 = 2000
[25] PCI := PDI = 400
[26] PVA := PXS - PCI = 2000 - 400 = 1600
[27] Pv := PVA = 1600 = 2
VA 800
[28] R := PVA - S L = 1600 - 10 x 40 = 1600 - 400 = 1200 = 2
K 600 600 600
Politiques de l'escompte compensé et du dividende national
[29] ESCR := PC = 1440 = 0,72
PXS 2000
[30] JPC := S L x ESCR = 400 x 0,72 = 288
[31] ESC := PC - JPC = 1440 - 288 = 1152
[32] CMP := ESC = 1152
[33] DIVN := PVA - S L = 1600 - 400 = 1200 = 5
POP 240 240
Annexe B
Les variables des modèles
C : consommation des ménages (unités/année);
CI : consommation intermédiaire (unités/année);
CMP : compensation nationale au vendeur (unités numéraires);
DI : demande en intrant intermédiaire (unités/année);
DIVN : dividende national (unités numéraires);
ESC : escompte national (unités numéraires);
ESCR : taux d'escompte national (sans dimension);
INV : demande d'investissement de capital (unités/année);
IT : dépense d'investissement total (unités numéraires/année);
JPC : juste prix de la consommation (unités numéraires);
K : stock de capital (années-capital);
KD : demande de capital (années-capital);
L : stock de main-d'oeuvre (années-personne);
LD : demande de main-d'oeuvre (années-personne);
LS : offre de main-d'oeuvre (années-personne);
P : prix de vente du produit (unités numéraires/unité);
PC : prix total des ventes aux ménages en produit évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
PCI : coût de la consommation intermédiaire évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
PDI : coût des achats en intrant intermédiaire évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
PINV : prix total des ventes d'investissement de capital évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
POP : population (personnes);
Pv : prix de la valeur ajoutée (unités numéraires/unité);
PVA : prix de revient total de la valeur ajoutée évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
PXD : prix total des ventes en produit évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
PXS : prix de revient total de la production évalué à prix courant
(unités numéraires/année);
R : taux de rendement du capital (unités numéraires/année-capital/année);
S : taux de salaire (unités numéraires/année-personne/année);
SM : épargne des ménages (unités numéraires/année);
VA : valeur ajoutée (unités/année);
VAD : valeur ajoutée désirée (unités/année);
XD : demande totale du produit (unités/année);
XS : production (unités/année);
XSD : production désirée du produit (unités/année);
YM : revenu des ménages (unités numéraires/année);
A : constante de niveau de la valeur ajoutée (>0) (=5 dans le modèle1)(=7,421753823
dans le modèle 2)(=4,666180682 dans le modèle 3);
d : coefficient du volume d'intrants intermédiaires nécessaire à la production
d'une unité du produit (0< d <1);
v : coefficient de valeur ajoutée de la production (0< v <1), avec v + d = 1;
α : élasticité de la valeur ajoutée par rapport à l'utilisation de la main-d'œuvre
(0< α <1);
1-α : élasticité de la valeur ajoutée par rapport à l'utilisation du capital;
γ : part budgétaire allouée par les ménages à la consommation du produit
(0≤ γ ≤1), avec γ + φ = 1;
φ : propension marginale (moyenne) à épargner des ménages (0≤ φ ≤1).
Annexe C
Les trois propositions du crédit social
C'est en trois propositions que C. H. Douglas a synthétisé les principes de la réforme qu'il préconise en réponse aux défauts du système des prix (Douglas 1924b, 1930a, 1930b, 1934). Il est intéressant de noter que Douglas affirme que ces principes sont valables non seulement dans le contexte économique du moment où il les a énoncés, mais aussi dans le contexte d'une économie beaucoup plus développée (Douglas 1930a, p.307):
"Les crédits d'achat entre les mains de la population d'un pays doivent en tout temps être collectivement égaux aux prix collectifs à payer à la caisse pour les biens consommables mis en vente dans ce pays (sans tenir compte des prix comptables de ces biens) et ces crédits d'achat ne doivent être annulés ou dépréciés que lors de l'achat ou de la dépréciation des biens de consommation.
Les crédits nécessaires pour financer la production doivent provenir, non pas d'épargnes, mais être des nouveaux crédits se rapportant à de la nouvelle production, et ces crédits ne doivent être rappelés que selon le rapport de la dépréciation générale à "l'appréciation" générale.
La distribution des crédits d'achat aux individus doit progressivement être moins dépendante de l'emploi. C'est-à-dire que le dividende doit progressivement remplacer le traitement et le salaire, à mesure qu'augmente la capacité productive par heure-personne."
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