lundi 15 juin 2009

B. Netanyahu dit aujourd'hui accepter un État palestinien

Netanyahu voulait lier l'Iran à la question palestinienne, sur un
mode négatif : aussi longtemps que le danger iranien est présent, la
question palestinienne ne saurait être traitée. Obama a inversé la
formule pour établir un lien positif : une avancée sur la question
palestinienne est une condition préalable à toute avancée sur la
question iranienne. C'est logique : l'absence de solution au conflit
sert l'Iran en lui fournissant un motif pour menacer Israël et en
affaiblissant l'opposition de l'Égypte et de l'Arabie Saoudite aux
ambitions de l'Iran.

BARACK OBAMA est souvent comparé à Franklin Delano Roosevelt, mais
c'est du livre d'un autre Roosevelt qu'il a extrait une page : le
Président Théodore Roosevelt qui, il y a 108 ans, donnait ce conseil
à ses successeurs : « Parlez avec douceur et munissez-vous d'un gros
bâton ! »

Cette semaine, le monde entier a vu comment cela se pratique. Obama
se tenait dans le Bureau ovale, à côté de Benyamin Netanyahu et
s'adressait aux journalistes. Il était sérieux mais détendu. Le
langage des corps était clair : tandis que Netanyahu se penchait
constamment en avant, comme un colporteur proposant sa marchandise,
Obama se laissait aller en arrière, tranquille et plein d'assurance.

Il parlait doucement, très doucement. Mais, placé contre le mur
derrière lui, masqué par le drapeau, il y avait un bâton vraiment
très gros.

LE MONDE voulait, naturellement savoir se qui s'était passé entre
les deux hommes quand ils se sont rencontrés seul à seul.

De retour à la maison, Netanyahou a dépensé beaucoup d'énergie pour
tenter de présenter la rencontre comme un grand succès. Mais, une
fois les projecteurs éteints et les tapis rouges roulés, nous
pouvons revenir sur ce que nous avons réellement vu et entendu.

Parmi les grandes choses obtenues, Netanyahou a mis l'accent sur la
question iranienne. « Nous sommes parvenus à un accord complet »,
a-t-il fièrement déclaré à plusieurs reprises.

Accord sur quoi ? Sur la nécessité d'empêcher l'Iran de se doter
d'une « capacité nucléaire militaire ».

Un instant ! Qu'entendons-nous, « militaire » ? D'où a surgi ce mot
? Jusqu'à présent, tous les gouvernements israéliens ont déclaré
avec insistance que l'Iran devait être empêché d'acquérir quelque
capacité nucléaire que ce soit. La nouvelle formulation signifie que
le gouvernement Netanyahou accepte désormais que l'Iran dispose
d'une capacité nucléaire « non militaire » – ce qui n'est jamais
très éloigné d'une capacité militaire.

Ce n'est pas là la seule défaite de Netanyahou sur la question
iranienne. Avant son voyage, il exigeait qu'Obama ne donne à l'Iran
que trois mois, « jusqu'à octobre », et qu'après cela « toutes les
options seraient sur la table ». Un ultimatum qui comportait une
menace militaire.

Il ne reste plus rien de cela. Obama a dit qu'il mènerait un
dialogue avec l'Iran jusqu'à la fin de l'année, et qu'alors il
ferait le bilan de ce qui aurait été réalisé et envisagerait ce
qu'il faudrait faire ensuite. S'il arrivait à la conclusion qu'il
n'y avait eu aucun progrès, il prendrait de nouvelles initiatives
qui pourraient impliquer des sanctions plus rigoureuses. L'option
militaire a disparu. C'est vrai, avant la rencontre, Obama avait
déclaré à un journal que « toutes les options sont sur la table »,
mais le fait qu'il ne l'ait pas répété en présence de Netanyahu en
dit long.

Il ne fait pas de doute que Netanyahou ait demandé la permission
d'attaquer l'Iran, ou – à tout le moins – de le menacer d'une telle
attaque. La réponse a été un non catégorique. Obama est déterminé à
empêcher une attaque israélienne. Il a mis en garde sans équivoque
le gouvernement israélien. Pour simplement s'assurer que le message
avait été convenablement assimilé, il a envoyé le chef de la CIA en
Israël pour communiquer le message personnellement à chaque
dirigeant israélien.

Le projet israélien d'une attaque militaire contre l'Iran a été ôté
de la table – si tant est qu'il y figurait encore.

Netanyahu voulait lier l'Iran à la question palestinienne, sur un
mode négatif : aussi longtemps que le danger iranien est présent, la
question palestinienne ne saurait être traitée. Obama a inversé la
formule pour établir un lien positif : une avancée sur la question
palestinienne est une condition préalable à toute avancée sur la
question iranienne. C'est logique : l'absence de solution au conflit
sert l'Iran en lui fournissant un motif pour menacer Israël et en
affaiblissant l'opposition de l'Égypte et de l'Arabie Saoudite aux
ambitions de l'Iran.

LE PRINCIPAL MESSAGE D'OBAMA concernait une question qui a retrouvé
une place centrale cette semaine : les colonies.

C'est un mot qui avait presque disparu pendant le règne de Bush le
jeune. C'est vrai, toutes les administrations américaines s'étaient
opposées à l'accroissement des colonies, mais, depuis l'échec de la
tentative de James Baker, le Secrétaire d'État de Bush l'ancien,
d'imposer des sanctions à Israël, personne n'avait osé faire quoi
que ce soit à leur sujet. À Washington on marmonnait, sur le terrain
on bâtissait. À Jérusalem on faisait comme si on ne savait pas et
sur le terrain on bâtissait.

Comme le formulait un responsable palestinien : « Nous sommes en
train de négocier le partage de la pizza, et pendant ce temps Israël
est en train de la manger. »

Il faut le répéter encore et encore : les colonies sont un désastre
pour les Palestiniens, un désastre pour la paix et un double ou
triple désastre pour Israël. En premier lieu parce que leur
principal objectif est de rendre impossible la constitution d'un
État palestinien, et donc de constituer un obstacle définitif à la
paix. Ensuite parce qu'elles sucent la moelle de l'économie
israélienne et absorbent des ressources qui devraient servir à aider
les pauvres. Enfin parce que les colonies minent l'autorité de la
loi en Israël ; elles y répandent le cancer du fascisme et poussent
l'ensemble du système politique vers la droite.

C'est pourquoi Obama a raison de placer la question des colonies
avant toute autre chose, même avant les négociations de paix. Un
arrêt complet des constructions dans les colonies est un préalable à
toute autre chose. Lorsqu'un corps saigne, il faut arrêter
l'hémorragie avant de pouvoir traiter la maladie. Sinon le patient
va mourir de s'être vidé de son sang et il n'y aura plus personne à
soigner. C'est précisément l'objectif de Netanyahou.

C'est la raison pour laquelle Netanyahou a refusé de satisfaire à la
demande. Autrement sa coalition aurait explosé et il aurait été
contraint de démissionner ou de monter une coalition de rechange
avec Kadima. L'infortunée Tzipi Livni qui n'a pas trouvé sa place
dans l'opposition sauterait probablement sur l'occasion.

Netanyahou va essayer de jouer Barak contre Barack. Avec l'aide
d'Ehoud Barak, il est en train de monter une entreprise de «
démolition d'avant-postes » dans le but de détourner l'attention de
la poursuite des constructions dans les colonies. Nous verrons bien
si ce stratagème réussit et si les leaders des colons vont jouer
leur jeu dans cette comédie. Le lendemain du retour de Netanyahou,
Barak démolissait pour la septième fois ( ! ) Maoz Esther, un
avant-poste constitué de sept huttes en bois. Quelques heures plus
tard, les colons avaient réoccupé le terrain.

(L'armée israélienne a construit un village arabe complet dans le
Néguev à des fins d'entraînement. Quelqu'un disait cette semaine en
plaisantant que l'armée avait aussi construit cet avant poste et y
avait placé des soldats déguisés en colons, pour qu'il puisse être
démoli à chaque fois que l'Amérique exerce des pressions. Ensuite,
les soldats le reconstruisent, prêt à servir à nouveau lors des
prochaines pressions.)

LE REFUS DE geler les colonies signifie le refus de la solution à
deux États. Au lieu de cela Netanyahou jonglait avec des slogans
creux. Il parlait de « deux peuples vivant ensemble en paix », mais
se refusait à parler d'un État palestinien. L'un de ses acolytes
traitait l'exigence de deux États de « jeu d'enfant ».

Mais il ne s'agit pas du tout d'un jeu d'enfant. Il a déjà été
démontré que des négociations dont le but n'a pas été fixé à
l'avance ne conduisent nulle part. Les accords d'Oslo ont
précisément échoué pour cette raison. Netanyahou espère que le
prochain round de négociations va aussi s'enliser à cause de cela.

Il n'a pas proposé de projet de son cru. Non parce qu'il n'a pas un
projet, mais parce qu'il sait que personne ne l'accepterait.

Le projet de Netanyahou c'est : maîtrise israélienne complète sur
tout le pays de la Méditerranée au Jourdain. Colonisation sans
limites partout. Autonomie limitée pour un certain nombre d'enclaves
palestiniennes à forte densité de population, lesquelles seraient
entourées de colonies. La totalité de Jérusalem doit rester partie
intégrante d'Israël. Pas un seul réfugié palestinien ne devrait
revenir sur le territoire d'Israël.

Cette marchandise ne trouvera aucun acheteur dans l'ensemble du
vaste monde. Par conséquent Netanyahou, en commerçant professionnel,
essaie de l'envelopper dans un emballage attrayant.

Par exemple : les Palestiniens « se gouverneront eux-mêmes ». Où
exactement ? Quel sera le tracé des frontières ? Il a déjà annoncé
que les Palestiniens ne sauraient avoir la maîtrise de « leur espace
aérien ni de leurs passages de frontières ». Un État sans armée et
sans la maîtrise de son espace aérien et de ses passages de
frontières – cela ressemble de façon suspecte aux bantoustans de
l'ancien régime d'apartheid en Afrique du Sud.

Je ne serais pas surpris si un jour prochain Netanyahu se mettait à
appeler ces réserves indigènes « un État palestinien ».

Pendant ce temps il essaie de gagner du temps et de différer les
négociations aussi longtemps que possible. Il exige que les
Palestiniens reconnaissent Israël comme « l'État du peuple juif »,
prévoyant et espérant qu'ils vont rejeter catégoriquement cette
demande. Et même, l'accepter signifierait l'abandon à l'avance de
leur carte maitresse – la question des réfugiés – ce serait aussi
planter un couteau dans le dos des 1,5 million de Palestiniens qui
sont citoyens d'Israël.

Netanyahou est prêt à accepter la proposition d'Obama d'impliquer
les États arabes et les autres États musulmans dans le processus de
paix – une idée qui a toujours été rejetée absolument par tous les
gouvernements d'Israël. Mais c'est là un autre des lapins qu'il
tirera de temps en temps de son chapeau pour tout différer. Avant
que des douzaines de pays arabes et plus de quinze États musulmans
ne se décident éventuellement à s'associer au processus, des mois,
peut-être des années, vont s'écouler. Et pendant ce temps, Netanyahu
exige d'eux un paiement d'avance sous forme de normalisation – ce
qui signifie que l'ensemble des pays du monde arabe et musulman
abandonneraient la seule carte qu'ils détiennent sans aucune
contrepartie. Un vrai cadeau.

C'est le plan de travail de Netanyahou.

EST-CE QU'OBAMA a lui-même un projet ? Si l'on fait le bilan de
toutes ses déclarations de ces derniers jours, il semble bien qu'il
en ait un.

Lorsqu'il parle de « deux États pour deux peuples », il accepte en
pratique le plan de paix qui a déjà recueilli un consensus mondial :
comme les « paramètres proposés par Bill Clinton dans les derniers
jours de sa présidence, comme le cœur de la proposition de paix
saoudienne et comme les plans de paix du mouvement de la paix
israélien (l'avant-projet d'accord de paix de Gush Shalom,
l'initiative de Genève, la déclaration Ayalon-Nusseibeh et d'autres.)

En bref : un État de Palestine souverain et viable à côté d'Israël,
dans les frontières d'avant 1967 avec des échanges de territoires
mineurs admis d'un commun accord, Jérusalem-Est comme capitale de la
Palestine, une solution mutuellement acceptable au problème des
réfugiés, un passage sécurisé entre la Cisjordanie et la bande de
Gaza, des accords de sécurité mutuels.

PENDANT CE TEMPS, partout dans le monde il y a un consensus
croissant sur le fait que la seule façon pour Obama de remettre en
route le processus de paix est de publier son plan de paix et
d'appeler les deux parties à l'accepter. Si nécessaire par voie de
référendum populaire.

Il pourrait faire cela dans le discours qu'il doit prononcer dans
deux semaines au Caire, au cours de son premier voyage présidentiel
au Moyen-Orient. Pendant ce voyage, et ce n'est pas un hasard, il ne
viendra pas en Israël, chose presque sans précédent pour un
président des États-Unis.

Pour ce faire, il doit être prêt à affronter le puissant lobby
israélien. Il semble qu'il y soit prêt. Le dernier Président qui osa
le faire fut Dwight D. Eisenhower qui obligea Israël à restituer le
Sinaï immédiatement après la guerre de 1956. « Ike » était tellement
populaire qu'il ne craignait pas le lobby. Obama n'est pas moins
populaire et il va peut-être oser, lui aussi.

Comme le faisait remarquer « Teddy » Roosevelt : quand vous avez un
gros bâton, vous n'avez pas besoin de le brandir. Vous pouvez vous
permettre de parler avec douceur – mais clairement et sans ambiguïté.

Article publié le 24 mai 2009, en hébreu et en anglais, sur le site
de Gush Shalom – Traduit de l'anglais « Calm Voice, Big Stick » pour
l'AFPS :FL

Voix calme, gros bâton
publié le mercredi 27 mai 2009
http://www.france-palestine.org/article11938.html
Uri Avnery - 23 mai 2009

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