Comment HSBC Banque Privée fourguait du Madoff
L'affaire Madoff n'a pas fini de révéler ses secrets. L'Expansion.com s'est procuré en exclusivité la conversation entre un client souscripteur de Madoff via le fonds Kingate et son banquier de HSBC Banque Privée, le 1er décembre 2008, soit seulement 11 jours avant la révélation en France de la gigantesque escroquerie portant sur quelque 50 milliards de dollars. Elle met au grand jour les pratiques de certains gestionnaires de fortune qui ont pendant des années, sans scrupules, vendu du Madoff. En direct : un banquier pris sur le fait, un épargnant pris au piège.
Le Lundi 1er décembre 2008 : 13h14
Le client : Tu m'as fait faire deux bonnes affaires, c'est le contrat d'assurance qui quand même est vraiment bien et deuxièmement c'est Kingate (1)
(1) Fonds Kingate. C'est un des nombreux « fonds nourriciers » basés aux îles Vierges britanniques, qui alimentaient la société d'investissement de Bernard Madoff.
Le banquier : C'est la Rolls Royce !
Le client : C'est impressionnant, c'est fou il a fait trois semaines de petites performances négatives et puis là il s'est repris 1%, clac d'un coup.
Le banquier : Oui, voilà, le gérant d'abord il a une technique de gestion qui est très relatée dans la volatilité actuelle, et puis ils ont tellement d'actifs qu'ils peuvent mettre en place des procédures de contrôle, il y a toute une équipe qui fait ça.
Le client : ah oui ?
Le banquier : oui, ils sont plusieurs centaines en fait (2)
(2) Jusqu'à preuve du contraire, Maddof a agit seul. L'enquête n'a pas démontré l'implication d'autres personnes dans la fraude.
Le client : ah oui, ils gèrent combien, on sait ça ?
Le banquier : Oui, ils gèrent à peu près, je crois, 700 millions sur le compartiment euros et deux milliards sur la partie dollars, je pense.
Le client : ah, d'accord …
Le banquier : C'est un fonds qui est fermé normalement.
Le client : ah, oui ?.
Le banquier : Oui, nous on arrive à rentrer mais le fonds est fermé.
Le client : ah, je ne savais pas, comment ça se fait que vous arriviez à rentrer ?
Le banquier : moi, j'ai un contact qui est un des administrateurs du fonds (3).
(3) Un grand classique des fonds Madoff pour attirer des investisseurs : faire croire à l'épargnant qu'il dispose d'un accès privilégié au fond.
Le client : ah, d'accord…
Le banquier : Et oui. Et c'est pour ça, si tu as des amis qui ont un gros potentiel à qui on veut rendre service, on peut faire rentrer (4).
(4) Le fonds Kingate n'était pas autorisé par l'AMF (gendarme boursier) à être commercialisé. En théorie, le banquier ne peut vendre ce fonds qu'à la demande expresse de son client. Il ne peut pas faire de démarchage.
Le client : ah d'accord, c'est intéressant à savoir, parce que moi j'en parle mais à chaque fois les gens me disent : « oh les hedge funds ! » et je leur dis regarde la performance sur l'année : +8%. (5).
(5) C'est le génie de Madoff, ne pas promettre des rendements délirants pour ne pas éveiller les soupçons.
Le banquier : Et il y a un moment donné on avait même accès tu vois au compartiment luxembourgeois de Kingate qui cote tous les quinze jours, un peu plus liquide.
Le client : Oui, bon moi, je suis content, j'ai fait quand même 20 000 euros de bénéfice en six ans. C'est pas mal.
Le banquier : C'est sympa.
Le client : C'est un paquebot.
Le banquier : On peut difficilement trouver mieux.
Le client : Oui, on peut difficilement trouver mieux, oui quoi que regarde là les plus values sont fiscalisées, mais regarde l'assurance-vie, l'un dans l'autre ça se joue à 2%.
Le vendredi 12 décembre 2008, 11h35 quelques heures après que l'escroquerie a été révélée au grand jour. Extraits.
Le client : Tu m'as appelé….
Le banquier : Oui, on a appris une mauvaise nouvelle sur le fond Kingate, il paraît que son gérant Bernard Madoff avait commis une fraude de l'ampleur d'Enron. On l'a appris ce matin, alors je voulais tout de suite t'en informer, on conseille aux clients de sortir.
Le client : Il s'appelle comment le gérant ?
Le banquier : Madoff
Le client : tu écris ça comment ?
Le banquier : (…) moi, je l'ai appris ce matin (…), on ne connaît pas les conséquences (…), on conseille aux clients de donner des ordres de vente (…), c'est un truc de fou, c'est un fonds qui a plus de quinze ans d'existence. Vas sur Google.
Le client : je tape quoi ? Ah c'est un ancien directeur du Nasdaq, c'est ça ?
Le banquier : oui, c'est ça, exactement. On ne sait pas quelle est la position du fonds (…) c'est un des rares fonds qui a fait une performance positive, c'est ça qui heu…
Le client : mais il n'est pas contrôlé, il n'y a pas des auditeurs ?
Le banquier : il y a 350 personnes qui travaillaient pour ce fonds, quand tu regardes la fiche, nous on suivait ce fonds, on savait que c'était un market maker, il connaissait bien le marché sur lequel il intervenait, mais personne ne pensait qu'il avait utilisé les capitaux (…) pour donner la performance aux autres.
Post-scriptum :
Un recours au civil a été déposé par le client devant le Tribunal de Grande Instance de Paris contre HSBC Banque Privée. « Non respect du devoir d'information et du devoir de conseil, commercialisation interdite de fonds, non respect du plancher de souscription, et non respect de l'obligation de diligence » énumère Maître Deniau, l'avocat du client de la victime de Madoff, via HSBC. Ce dernier demande 80.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice financier, soit la somme des montants investis (61.000 euros) et des intérêts qu'il aurait pu tirer d'un autre placement sans risques. L'affaire est en cours d'instruction. HSBC se refuse à tout commentaire. La banque s'est fendue d'une lettre informant le client que « son interlocuteur privilégié avait souhaité donner un nouvelle orientation à sa carrière ».
Vu sur Libertés-Internet ICI
[Géraldine Meignan et Franck Dedieu - L'Expansion - 06/01/2010]
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